Ce 13 juin, à Montluçon, Thévenard, Meunier, Desaigne
et quelques autres attendent le courrier de Paris. Il faudra
aujourd'hui agir par ruse pour avoir les journaux car le notaire est
absent pour quelques jours. Nos compères guettent l'arrivée du
facteur dans un café situé à proximité de l'étude. Aussitôt parti
l'homme de la poste, Thévenard, qui connait bien la bonne, comme
nous l'avons vu précédemment, va mettre à profit cette relation et
insister auprès d'elle pour avoir le courrier. Craignant que l'on ne
remarque cette petite troupe devant la maison de son maître, la
servante du notaire fait entrer les hommes dans le jardin. C'est là
qu'ils prendront connaissance du journal «La Réforme», daté de la
veille et dissimulé astucieusement dans les feuilles d'une autre
publication «Le National», favorable elle au gouvernement.
TÉMOIGNAGE
Marie Durif, 27 ans, domestique chez Mr
Grozieux, notaire à Montluçon
Le mercredi 13 juin, j'ai reçu de Paris une lettre à l'adresse
de Mr Grozieux La Garenne. La suscription était de la main de Mr
Fargin-Fayolle, représentant. Dessaigne, Thévenard et quelques
autres individus stationnés devant le café Souchère, voisin de la
maison de Me Grozieux, ont vu le facteur me remettre cette lettre ;
ils sont venus me la demander. Mr Grozieux étant absent je m'y suis
refusée. Dessaigne insistant pour l'obtenir, je la lui ai enfin
donnée. Comme ces messieurs voulaient la lire devant la porte, j'ai
craint que leur nombre vint à s'augmenter et je les ai faits passer
dans le jardin. Au bout de quelques instants, ils sont repartis ;
ils ne m'ont pas paru contents des nouvelles qu'ils venaient de
lire.
Je me rappelle, après y avoir réfléchi, qu'indépendamment de la
lettre adressée à Mr Laguarenne que me remit le 13 juin dernier Mr
Ver Ion après l'avoir reçu lui même du facteur, il y avait aussi un
journal que je lui demandai quelques instants après. Je lui fis
cette demande parce que des personnes dont je ne me rappelle plus le
nom vinrent me dire que cette lettre annonçait l'envoi de journaux.
Il me serait difficile de vous désigner, quant à présent du moins,
la personne ou les personnes à qui je les donnai car il me serait
impossible de me les rappeler.
Autre version des faits :
Interrogatoire de Thévenard du 2 juillet :
Le 13 juin entre 9 et 10 heures du matin, nous étions un
certain nombre de citoyens sur le seuil du café Souchaire lorsque la
nommée Durif, femme de confiance de Mr Grozieux notaire, accourut
une lettre à la main et nous fit signe de la suivre. Nous la
suivîmes dans le jardin du notaire Grozieux qui se trouvait absent.
Ils peuvent ainsi lire à la date du 12 juin l'article suivant :
«Au peuple, à la Garde Nationale, à l'armée.
La majorité de l'Assemblée législative vient de passer
dédaigneusement à l'ordre sur les affaires d'Italie. Par ce vote, la
majorité s'est ralliée à une politique qui viole la constitution.
Nous avons déposé un acte d'accusation contre le pouvoir exécutif,
nous le soutiendrons demain, nous voulons épuiser les moyens que la
constitution met entre vos mains. Que le peuple continue à avoir
foi, les représentants ont foi en lui».
Cette proclamation fut recopiée sur l'heure par les rouges
montluçonnais et répandue un peu partout. On en laissa même un
exemplaire sur une table du Café de la Poste.
Le 14 juin, les journaux arrivent chez le notaire dans une boîte de
fer. Sur le colis on peut lire : «Envoi de Leroux, Paris»
avec une mention "12 couteaux de table". Une lettre envoyée de
la capitale par Bertrand, employé de la Chambre des Représentants,
arrive le même jour que le curieux paquet. En voici le libellé en
respectant l'orthographe : «Je crois bien faire de vous
mettre au courant de ce qu'il se passe à Paris, la ville est en
plaine insurrections ; la chambre vient de se former en permanence
déjat les coups de feu se font entendre, on nous assure qu'un
gouvernement provisoire vient de se constituer par les chefs de la
Montagne. Si vous désiré que je vous tienne à vous donner des
renségnements et vous me le faire savoir par un mot de réponse».
Cette fameuse lettre fit beaucoup de bruit. Les rouges voyaient
l'heure arrivée de passer à l'action et de voler au secours de leur
idole, Ledru-Rollin. A La Chapelaude, Sommerat n'est pas inactif. La
veille, il a déjà prévenu les maires de Courçais et de Chazemais. La
lettre adressée à Berchon, maire de Chazemais a été retrouvée. Il
était écrit :
«Mon cher ami, les affaires sont à
bout. La mise en accusation de Napoléon et de ses ministres a été
faite hier par Ledru-Rollin. Il leur a dit à l'assemblée qu'ils
faisaient un appel aux armes. Aussi mon cher ami, tiens toi prêt
pour demain ou après-demain. Je passerai t'avertir ou j'enverrai
quelqu'un de sûr. Aussi ne t'absente pas. Tout à toi. La lettre de
Sartin et de mon frère dit de nous tenir prêts d'heure en heure».
Cette missive va compromettre le destinataire, nous le verrons plus
tard ! Quant à celle adressée à Pailheret de Pitro, maire de
Courçais, elle ne fut pas retrouvée.
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